Spoiler alert : au risque de décevoir certains, les solutions connectées ne sont pas toujours pertinentes. Leur coût de fabrication est parfois bien plus élevé que le bénéfice économique et environnemental que l’entreprise peut espérer.
Asseyez-vous confortablement, je vais vous raconter une petite histoire. Une histoire vraie, bien évidemment. Il n’y aura pas de vilain dragon mais plein de chiffres pour les gourmands (oh, ne vous cachez pas, je sais que vous êtes là).
Réduire sa consommation d'énergie
Il était une fois, fin 2022, une entreprise qui souhaitait mettre en place des actions concrètes pour réduire sa consommation d’énergie. En France, c’était (et cela reste) une période où les coûts liés à l’énergie augmentaient fortement et où la prise de conscience collective au sujet des enjeux climatiques se faisait plus forte.
Cette entreprise étant dans le secteur du numérique, un ensemble de collaborateurs du CSE (organisé dans une initiative “éco-responsabilité”) a tout naturellement pensé à chercher des solutions pour réduire la consommation électrique du parc informatique de l’entreprise. Il faut dire que les équipes laissaient bien trop régulièrement les écrans de leurs ordinateurs en veille la nuit. Outch.
L’idée de ce collectif a alors été de mettre en place une solution connectée qui éteindrait de manière automatique tout le parc informatique chaque nuit. Ainsi, pas d’oubli et la perspective de faire de grosses économies d’énergie.
Cependant, avant de se lancer dans l’achat et l’installation de ces prises connectées, un doute assaille l’un des collaborateurs de cette entreprise. Il en fait part à l’équipe de Mavana.
Rentabilité environnementale d'une prise connectée
"Dis-moi, dans ma boite ils veulent mettre des prises connectées à toutes les prises pour couper automatiquement les écrans restés allumés la nuit. Quand je vois l'impact de l'extraction de minerai, je me pose des questions sur l'impact positif de ce genre de solution (sachant que l'électricité en France est déjà décarbonée). Donc ma question est : Est-ce que tu sais si le bilan carboné de la mise en place d'une prise connecté est rentable d'un point de vue bilan carbone ? Je suppose que c'est une question de temps, donc ça doit être rentable au bout de X année, tu as une idée si c'est 1 ou 10 ou 100 ans ?"
Chez Mavana, nous adorons ce type d’exercice car pour nous, le calcul de rentabilité économique et environnementale est l’un des éléments principaux pouvant justifier l’utilisation de solution connectée. Rappelons qu’en France, 80% de l’impact des objets connectés tient dans leur fabrication. Il est donc essentiel de les déployer uniquement lorsqu’ils sont pertinents d’un point de vue environnemental.
Et le résultat a été sans appel.
Dans la situation précise de l’entreprise (nombre des écrans, nombre et marque des prises connectées…), la solution connectée était gadget.
Hypothèses de calcul
En effet, dans l’hypothèse où la prise connectée serait utilisée tous les jours de l’année, la rentabilité financière pointerait le bout de son nez au bout de 7 ans. Et la rentabilité environnementale alors ? Eh bien, nous parlons alors d’un minimum de 9 ans ! Cela pourrait même ne jamais être rentable, la prise ayant le temps de rendre l’âme avant…
Voici la réponse que nous avions faite à ce collaborateur soucieux :
Sans rentrer dans un ACV réelle, je te propose de travailler sur les ordres de grandeurs ?
Consommation électrique avant la solution connectée
Imaginons que l’employé·e travaille de 9h à 17h (pas mal hein ???? ) et que l’écran reste alimenté tout le temps en dehors de cette plage (soit 16h par nuit). La référence d’écran que tu m’as donnée indique 1.2W de consommation en mode veille. Deux écrans sur la même prise1 comptent donc pour 2.4W, soit 16×2.4 = 38.4Wh par nuit.
Sachant que 1kWh d’électricité en France représente environ 50g de CO2eq en moyenne sur une année, ces deux écrans qui restent allumés pendant la nuit « émettent » 1.92g de CO2eq chaque nuit.
Coût environnemental de la prise connectée
D’un autre coté, la référence de prise connectée me semble assez costaude : Wifi, serveur web embarqué, logique applicative capable d’interagir avec des assistants personnels, d’échanger avec des serveurs Web, protégé pour 2500W, etc. Avec un produit de cette taille et de ce poids, on serait, selon mon expérience, entre 5kg et 8kg de CO2eq juste pour les phases préalables à son utilisation – c’est-à-dire les phases d’extraction des matière premières, de production et de distribution. Prenons 5kg de CO2eq histoire d’être optimiste (alors que normalement la « bonne pratique » est d’être plutôt pessimiste). Et encore… j’ignore ici d’autres indicateurs environnementaux, comme les consommations de ressources minérales et métalliques, qui sont des éléments importants de l’impact environnemental de ce type d’objet. Mais c’est un autre sujet.
Économie énergétique réalisée
La référence de prise connectée indique < 1W sans plus de précision. On a donc une prise “connectée” qui consomme potentiellement 1W en continue toute la journée (24Wh), ce qui réduit DRASTIQUEMENT l’intérêt d’une telle prise pour faire économiser… 38.4 – 24 = 14.4Wh par jour !! (à titre de comparaison, c’est l’équivalent de la quantité d’énergie demandée par une ampoule de lampe de chevet pour lire une heure le soir).
Prenons tout de même un scénario « optimiste », en nous disant que la prise ne consomme que 500mW (ce dont je doute étant donné qu’il y a un serveur embarqué) :
On a d’un côté deux écrans qui consommeraient 38.4Wh par nuit et une prise qui consommerait environ 12Wh par jour, soit un « gain » potentiel de 38.4-12 = 26.4 Wh–> j’arrondi le tout à 30Wh pour être encore plus optimiste.
Résultats de l'étude
1 kWh (1000 Wh) émet ~50g de CO2eq en France. Une « économie » journalière de 30Wh équivaudrait donc à 50g de CO2eq x (30 Wh/1000) = 1.5g de CO2eq.
Pour « compenser » les 5kg de CO2eq dus à la fabrication de la prise il faudrait donc … 5000 / 1.5 = 3 333 jours ! (plus de 9 ans !!!)
Note que ce serait 2x plus long (18 ans) si on considérait une consommation de 1W pour la prise connectée…
Privilégier la sensibilisation pour éviter la consommation énergétique inutile
Je pense que, plutôt qu’une prise connectée, il serait judicieux de plutôt connecter les « départs » de compteurs : par exemple piloter au niveau du compteur électrique tout un ensemble de ligne (par étage par exemple). Ça permettrait d’avoir un effet similaire sans investir et « peser » autant.
Cela dit, ma crainte avec ce genre de solution techno c’est que ça déresponsabilise les gens, et qu’ils comptent alors sur la techno pour compenser leur manque.
Je propose de faire mieux avec moins et de faire appel à de « l’innovation sociale » : sensibiliser tous les salariés (ce qui coûterait moins cher que 20€ par prise) puis organiser un changement de comportement. A l’instar du « nombre de jours sans incident » dans les usines, afficher un « nombre de jour sans écran allumé la nuit« . Et pour la mise en oeuvre, par exemple, demander à chaque « plateau » ou « open space » que chaque personne qui part en dernier fasse le tour pour débrancher tous les écrans qui ne sont pas éteints, et note quelque part le nombre de ces écrans (dans un canal Slack/Teams ou dans une app, éco-conçue bien sûr ! ).
Avec une cible d’arriver (et de se maintenir) à 0. Si les gens se prêtent au jeu, il y a moyen que la société arrive vite au but !
Et puis, vous pouvez même gamifier tout ça (avec un scoreboard par open space, en « chocoblastant » ceux qui oublient de débrancher leur écran, etc.).
Et tout cela sans aucune fabrication ni consommation d’énergie superflue.
Les recommandations de Mavana
Mavana a donc recommandé de renoncer à déployer ces prises connectées et de concentrer plutôt les efforts vers de la sensibilisation, comme mettre en place un petit challenge amusant sur le plateau des développeurs par exemple. Celui qui oublie d’éteindre son écran, paie les chocolatines à tout le monde ! Et croyez-nous, c’est très efficace ! ????
Et, par la suite, nous leur avons également recommandé un autre geste plus impactant : celui de réduire le nombre d’écrans. Parce que faire l’économie de l’achat d’un seul écran représente l’économie d’environ 270kg de CO2eq (soit l’équivalent de la consommation électrique d’un poste de travail avec 2 écrans resté en veille toutes les nuits pendant 33 ans…) .
Merci à l’entreprise Web-Atrio qui nous a permis de publier cette histoire sans filtre. Puisqu’elle se termine bien, nous nous sommes dit qu’elle pourrait être intéressante pour d’autres entreprises en pleine réflexion.
Car même plein de bonne volonté, lorsque nous n’avons pas toutes les clés en main, il est malheureusement rapide de tomber dans le “greenwashing”, même s’il est involontaire.
1 À l’époque de cet échange, nous avions compris qu’une même prise alimentait 2 postes de travail chacun équipé d’un écran. Nous avons appris par la suite qu’en réalité l’équipe de Web-Atrio avait organisé les espaces de bureau de telle sorte que quatre postes de travail soient alimentés par la même multiprise. Et que chaque poste était équipé de 2 écrans. Ainsi, les chiffres présentés dans l’article ci-dessus diffèrent légèrement de la réalité. Pour plus de transparence nous reportons les chiffres plus réalistes ici (qui ne changent pas la conclusion quant aux bons réflexes à avoir) :
- On parle alors d’une économie théorique d’environ 153 Wh par nuit, soit environ 129Wh « d’émissions évitées » par jour (encore une fois… si TOUS les écrans restaient auparavant en veille)
- Cela donnerait une rentabilité économique au bout de 655 jours (soit environ 1 an et 10 mois)
- Et pour la rentabilité environnementale, une rentabilité au bout de 775 jours (soit environ 2 ans et 1 mois)
Sources :
“En France, 80% de l’empreinte environnementale du numérique provient de la fabrication”: rapport ADEME-ARCEP Janvier 2022 https://librairie.ademe.fr/consommer-autrement/5226-evaluation-de-l-impact-environnemental-du-numerique-en-france-et-analyse-prospective.html
“1kWh d’électricité en France représente environ 50g de CO2eq en moyenne” : Base Carbone – donnée 2021: https://bilans-ges.ademe.fr/fr/basecarbone/donnees-consulter/liste-element?recherche=%C3%A9lectricit%C3%A9
Informations complémentaires concernant l’importance du contexte géographique de ce type étude
Dans l’exercice précédent, nous avons conclu que la prise connectée pour gérer un seul écran n’avait pas réellement d’intérêt en France parce que l’énergie économisée nécessiterait d’utiliser cette prise 9 ans (sans défaillance) avant que l’empreinte carbone qui aurait été nécessaire à sa construction ne soit compensée.
Mais cette conclusion est-elle vraie dans tous les pays ?
Il faut savoir en effet que chaque pays – chaque région même ! – possède une infrastructure de production et de distribution électrique qui lui est propre. Cette infrastructure énergétique mêle bien souvent différentes sources d’énergie qui sont transformées pour produire de l’électricité : centrales à charbon, à gaz ou nucléaire, barrages hydrauliques, fermes photovoltaïques, parc éolien, etc.
En France par exemple, notre production électrique est articulée en majorité autour des énergies nucléaires et hydrauliques, et de manière plus anecdotique d’éolien, de solaire, voire de gaz (souvent importé de l’étranger). Pour les plus curieux d’entre vous qui souhaiteraient connaître tous les détails sur la composition de notre énergie électrique en France, nous vous recommandons d’aller faire un tour vers le site de RTE, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité1.
Cette composition hétérogène de la production électrique est traditionnellement dénommée “mix électrique”. Et chaque pays possède ainsi son mix électrique particulier.
Par ailleurs, chaque mode de production d’énergie électrique émet, entre autres, des gaz à effet de serre lors de la transformation de l’énergie primaire. Selon la source d’énergie et les procédés de production, le volume et la nature des gaz à effet de serre émis lors de la production d’électricité diffèrent . Voici l’intensité carbone par source d’énergie, selon la Base Carbone.
En France, la composition de notre mix électrique nous permet d’obtenir une moyenne d’environ 52gCO2e / kWh (nous avions pris 50g CO2e / kWh pour le calcul initial).
Mais qu’est-ce que cela donne pour les autres pays ? Pourrions-nous conclure de la même façon ?
Nous avons reproduit ci-dessous, à titre d’exemple, les émissions de gaz à effet de serre associées au mix électrique de quelques pays, et la durée théorique estimée pour que l’utilisation de la prise connectée devienne “intéressante” d’un point de vue gaz à effet de serre.
On observe de manière assez claire que la conclusion est drastiquement différente selon que l’on se situe en France, en Suède ou en Suisse où cette durée est très importante, ou aux Etats-Unis où le mix électrique porte à conclure de manière positive sur l’utilisation d’une telle prise connectée (dont l’usage compenserait en moins d’un an les émissions liées à sa production).
Objectifs de développement durable
Le thème de cet article répond à l’ODD suivant :
=> 11. Villes et communautés durables
=> 12. Consommation et production responsables