Ça correspond à quoi ce 75 ? Le nombre de dents de Gillo sur cette photo ? Ou la quantité de carrés de chocolat qu’il peut manger ?
Naannn… 75 est le numéro de l’épisode du podcast Techologie auquel il a eu l’honneur de participer (merci pour cette belle opportunité Richard Hanna).
Lors de cet épisode, Gillo nous parle de son parcours, donne sa définition de l’Internet-des-objets et quelques enjeux géopolitiques liés aux technologies qu’il observe.
Il partage aussi des exemples pour lesquels l’IoT est utile et d’autres où l’on observe du gâchis en terme de rentabilité environnementale.
Quelle est la durée de vie moyenne d’un objet connecté, quel est l’impact de sa fabrication, comment est gérée sa fin de vie ?
Le lien vers le podcast audio est ici : https://open.spotify.com/episode/0iacoMhSn2VCwEc3M7cKeo
La version écrite de cet entretien se trouve ci après.
(Transcription réalisée par Techologie et relecture par Mavana)
Introduction
Bonjour à tous, ravi de vous retrouver pour ce nouvel épisode de Techologie. Nous allons parler de smart city, smart building, industrie 4.0. Et derrière ces concepts, il y a des objets, l’Internet-des-Objets et les impacts de ces objets, notamment sur les quatre dimensions : techniques, économiques, environnementales et sociales. Et pour parler de ces sujets, nous avons avec nous Gillo Alain Malpart, qui est dirigeant de l’entreprise Mavana, installée à Toulouse, et qui propose d’aider les organisations à réduire leur empreinte environnementale grâce à des objets connectés.
Gillo, je te propose de nous parler de ton parcours. Comment es-tu arrivé à l’Internet-des-Objets ?
Pour expliquer mon parcours personnel très brièvement, je suis né dans les années 80 à Madagascar. J’ai fait une grande partie de mon enfance en France, mais également en Afrique. Tu comprendras que j’ai une relation à l’environnement qui m’amène là où je suis aujourd’hui et, je vous en parlerai un peu plus tard, grâce à Mavana.
Au sujet de l’Internet-des-Objets maintenant… J’ai commencé un peu par hasard en sortant de mes études, où je cherchais un stage dans une petite entreprise, en me disant que cela serait peut-être la dernière occasion pour moi de me faire plaisir. Et c’est une entreprise qui m’avait demandé de tester le développement d’un serveur web dans un téléphone mobile. C’était au début des années 2000. À l’époque, il faut se souvenir que les téléphones mobiles avaient très peu de mémoire, de l’ordre de 32 kilos octets. Et ce stage a réussi. J’ai développé un petit serveur web qui servait des pages HTML. Le dirigeant de cette entreprise s’était dit qu’il y avait peut-être quelque chose à faire. Ils m’ont alors embauché. Dans mes premières années, j’ai mis en œuvre quelques projets en tant que développeur logiciel embarqué. Des télécommandes d’objets matériels à travers internet. Cela a amené cette entreprise à développer cette activité qu’on appelait à l’époque machine-to-machine, qui maintenant s’appelle Internet-des-Objets.
De fil en aiguille, j’ai grandi, j’ai maturé avec le marché. En passant de développeur logiciel à architecte de solutions, en passant par la gestion de projets et même la direction des ventes un peu plus tard dans ma carrière, qui m’a amené à voir beaucoup de cas d’usages de l’Internet-des-Objets.
Donne-nous ta définition de l’IoT, Internet-of-Things, l’Internet-des-Objets, IdO en français…
Il y a pour moi deux composantes principales. La notion d’internet et la notion d’objet. Pour moi c’est un peu le négatif du métavers, dans le sens où le métavers, c’est mettre des personnes physiques dans un monde complètement virtuel. L’Internet-des-Objets, c’est apporter du numérique pour numériser des objets qui sont physiques et leur permettre d’interagir, d’envoyer des informations ou de recevoir des informations, des commandes, à travers des réseaux interconnectés.
C’est là que moi, je fais une différence entre l’Internet-des-Objets (qui a vraiment lien avec une relation distante) avec internet, à des objets qui pourraient avoir une connexion uniquement locale et qui ne serait manipulés que de manière locale.
Dans quels cas l’Internet-des-Objets est-il utile ?
C’est une vaste question. J’ai envie d’avoir deux réponses. Il y a la réponse que donne le GIEC, par exemple. Le GIEC identifie 7 à 8 cas d’usages principaux en commençant par la gestion de la distribution d’électricité, l’agriculture, la smart city, l’usine connectée…
Mais j’ai envie d’avoir une réponse un peu plus personnelle. Je trouve que l’intérêt des objets connectés est utile principalement quand cela permet de préserver des ressources naturelles, de l’eau, de matières premières, par exemple. Ou bien en évitant de consommer trop, ou en permettant de pas avoir trop de déchets. Cela est également être utile quand ça permet de préserver la vie. On a des cas d’usage de détection de chute de travailleurs isolés, par exemple, de maintien à domicile de personnes âgées. Depuis plusieurs années maintenant, il existe les systèmes embarqués dans les véhicules pour l’appel d’urgence qui permet à un véhicule, de détecter qu’on vient de passer de 100 à 0 km / heure en quelques millisecondes. Dans ce cas-là, il y a de fortes chances pour que les personnes qui sont dans le véhicule ne soient pas en très bon état, le système appelle alors automatiquement les services d’urgence avec de la géolocalisation.
Ce sont quelques exemples d’Internet-des-Objets à mon sens utiles parce que ça préserve des ressources naturelles ou la vie.
Et on parlait en introduction de smart city et de smart building, donc de villes intelligentes ou de bâtiments intelligents. Tu as des exemples, des cas concrets qui sont vertueux ?
Il y en a plusieurs. La problématique qu’on a souvent quand on tente de catégoriser ces cas d’usage, c’est qu’on se confronte très vite aux conditions dans lesquelles ils sont utilisés. Je vais donner un exemple. Dans la smart city, depuis plusieurs années, dans plusieurs villes de France notamment, on utilise des objets connectés pour télégérer l’éclairage public. Télégérer l’éclairage public, ça veut dire gérer un abaissement lumineux pour ne pas être tout le temps à 100% de la consommation électrique de chacune des ampoules, pouvoir gérer en fonction de la période de l’année les heures d’éclairage. Et l’Internet-des-Objets a permis aux exploitants de cet éclairage public d’avoir des tournées de maintien en condition opérationnelle de cet éclairage public, qui est plus efficace. Plutôt que de faire des tournées de plusieurs dizaines ou plusieurs centaines de kilomètres pour vérifier que chacune des ampoules est correcte, c’est l’ampoule cassée qui est détectée automatiquement grâce à ses systèmes intelligents et connectés.
Cela dit, même cas d’usage, même technologie IoT, l’intérêt de l’IoT n’est pas du tout la même chose quand on utilise une lampe ancienne à décharge qui consomme plus qu’une une LED qui est la nouvelle technologie utilisée dans la smart city, en tout cas pour le smart lighting. On se rend compte que, à conditions différentes de la technologie qui n’est pas du tout l’IoT, qui est vraiment la technologie de la lampe, on a un intérêt totalement différent.
Très utile dans le cadre des lampes à décharge, parce que ça permet d’économiser énormément d’énergie. Beaucoup moins intéressant d’un point de vue purement rendement énergétique quand on prend l’intégralité de ce qui est impacté par le fait d’avoir intégré l’IoT, d’avoir des déplacements ou non des techniciens. C’est beaucoup moins intéressant, toutes choses étant égales par ailleurs, sur la technologie LED.
Donc, pour répondre à ta question, il y en a des cas utiles. Encore une fois, c’est souvent quand on préserve des ressources naturelles. Ce sont les compteurs d’eau qui permettent d’identifier plus vite des fuites d’eau par exemple. J’ai parlé d’éclairage public parce que c’est un des postes de dépenses énergétiques importants dans les villes et dans les territoires. C’est souvent au moment où on arrive à optimiser des déplacements opérationnels qu’on trouve un intérêt assez rapide en terme de rentabilité environnementale à utiliser l’Internet-des-Objets.
Et là on est en contexte de sobriété énergétique, c’est un peu tôt pour conclure, mais par rapport au coût de l’énergie, est-ce que tu sens que la rentabilité est meilleure grâce à l’IoT ?
On se pose la question aujourd’hui. Je pense que c’est c’est un peu compliqué de démontrer de manière tangible l’intérêt ou non en fonction des différents cas d’usage. On se pose la question, notamment dans la thermorégulation des bâtiments. On sait combien ça coûte en énergie d’avoir un degré de plus dans un bâtiment, notamment dans les logements résidentiels publics, avec différents logements.
On quantifie un peu moins l’intérêt d’intégrer des objets connectés pour cette thermorégulation à distance par exemple. Pour plusieurs raisons. On sait quantifier le fait que l’on a coupé ou pas, par exemple, le chauffage. Par contre peu d’entités quantifient le poids environnemental de l’objet connecté lui-même qu’il a fallu fabriquer. Et cette fabrication, elle est récente. Souvent, quand on intègre un objet connecté aujourd’hui, c’est qu’il a été fabriqué il y a quelques mois. Et cette fabrication elle-même a nécessité de l’énergie, souvent sur un territoire asiatique, souvent un peu plus carboné que ce qu’on peut faire en Europe, et notamment en France. Là, il y a une notion de ratio qui n’est pas systématique, mais c’est aussi pour ça que certaines entreprises font appel à Mavana pour pouvoir faire ce calcul, simulé, de rentabilité environnementale de ce type d’intégration de solutions.
Tu parlais d’énergie. Quels sont les autres impacts environnementaux et sociaux de l’Internet-des-Objets ? Pour le numérique, nos smartphones, nos équipements, on sait maintenant qu’une grande majorité des impacts environnementaux sont liés à la fabrication. Est-ce que pour les objets connectés c’est le même cas ?
C’est le même cas, souvent, pas tout le temps. Par exemple dans les véhicules, on intègre des objets connectés. J’ai parlé du système d’appel d’urgence. Il y en a d’autres, des objets connectés dans les véhicules. Il y a un impact dans la fabrication, c’est sûr, comme comme tout objet numérique. Mais puisque l’énergie électrique utilisée par les objets connectés qui sont dans le véhicule est encore alimentée par des moteurs thermiques, c’est un des rares cas où l’impact de ces objets connectés est principalement dans la phase d’utilisation. Parce que là c’est un moteur thermique qui fournit l’énergie, qui transformée par un alternateur fournit ensuite l’énergie électrique à un module connecté.
Effectivement, on a quelques cas un peu artefacts, comme ça, dans l’Internet-des-Objets où, contrairement à ce que l’on voit principalement, c’est entre 70 et 90% dans la fabrication, ou en tout cas dans toutes les phases de vie hors utilisation, il y a des cas dans l’Internet-des-Objets où l’utilisation est le plus important.
Et je me pose la question de la durée de vie des équipements IoT. Est-ce qu’on la connait ? Cela dure longtemps ? Est-ce que ça permet de lisser un peu les impacts environnementaux liés à la fabrication ? Quel est en moyenne la durée de vie ou est-ce que tu me diras « ça dépend » sans doute. Et concernant la gestion de fin de vie, est-ce que on a du recul par rapport à ça ? On a une dispersion des équipements qui sont oubliés, qui ne sont pas décommissionnés, qui sont dans la nature.
J’entends trois questions dans ta question. La première, qui est “quelle est la durée de vie ?” Effectivement, ça dépend du cas d’usage. Donc je distingue bien l’Internet-des-Objets utilisé dans le monde industriel professionnel de l’Internet-des-Objets utilisé pour le loisir.
Dans le monde industriel, il y a quand même une tentation de faire durer les objets le plus longtemps possible, puisque c’est immédiatement une rentabilité économique intéressante pour les entreprises d’investir et de le garder plus longtemps possible. Et là, on observe dans les segments classiquement cités, comme le smart grid (la gestion de la distribution de l’énergie), le smart metering (le compteur connecté, le compteur intelligent) ou l’usine connectée, souvent, on parle de 5, 7 voire 10 ans de longévité sur ces objets. Dans le street lighting, les différents fabricants avec qui j’ai pu collaborer, essayent de dimensionner les systèmes pour qu’ils puissent durer jusqu’à 15 ans, au moins d’un point de vue matériel. Après, on pourra peut-être parler de l’obsolescence logicielle et des réseaux, ce qui est un autre sujet.
On a des cas où les produits sont fatigués plus rapidement parce qu’il y a de la mécanique mobile, dans la logistique notamment. Mais en moyenne, on pourrait considérer qu’un objet correctement utilisé dure entre 5 et 7 ans, dans un monde industriel.
Ensuite, tu poses la question de la fin de vie. À ma connaissance, rares sont les organisations qui prennent déjà conscience qu’il y a une gestion de fin de vie à avoir. Il y a quelques acteurs, en Europe notamment, qui ont commencé à mettre en place des systèmes de recollecte des objets qui auraient pu être déployés par le passé. Et puis, une fois que c’est recollecté, il faut voir ce qu’ils en font. Est-ce que c’est reconditionné, est ce que c’est démantelé pour être recyclé. Cela dépend vraiment du type d’objets connectés.
Il y a quand même quelques contraintes. Je prends l’exemple des compteurs. Un compteur qui va certainement évoluer dans un environnement un peu difficile, pendant longtemps, va être vernis pour protéger le système électronique de la corrosion. Ce qu’on fait assez rarement dans le monde grand public. Et du fait qu’il y ait ce vernis, il est quasiment impossible de récupérer les composants de cet objet connecté. Il est donc important de considérer que cet objet, de toute façon, une fois qu’il est dans la nature, est impossible à recycler. Maintenant, qu’est ce qu’on en fait quand il est en fin de vie ? Souvent, ça finit en incinération ou autre, quand ils sont récupérés.
Et c’est là où le bât blesse. On a certains objets qui, au mieux, sont récupérés et finissent dans des armoires. D’autres qui sont laissés dans la nature parce que les exploitants ne savent pas quoi en faire, voire ils voient cela comme un poste de coûts parce qu’il faut se déplacer pour aller les récupérer.
Et j’ai envie de dire avant ça, avant la fin de vie, il y a même le tout début, la naissance. Les chiffres sont débattus, mais il semblerait, d’après différentes études et mon expérience personnelle, qu’il y a environ trois quarts des projets de déploiement d’objets connectés qui échouent, à différents stades de maturité.
Beaucoup échouent parce que les entreprises qui se lancent n’ont pas idée de la complexité d’un système Internet-des-Objets. Rarement, on prend conscience que dans un système IoT, c’est tous les pans du numérique qu’on fait converger ensemble, et donc toute la complexité du numérique. C’est de l’électronique, du réseau, de la cybersécurité, tout ça ensemble. Et donc, il y a une complexité qui fait que parfois, avant même d’arriver à la ligne de départ, les projets s’arrêtent. Et les projets s’arrêtent en ayant peut-être déjà lancé des chaînes de fabrication.
Certains projets vont jusqu’au déploiement, mais après quelques mois, un ou deux ans, interrompent leurs opérations parce qu’il y a une rentabilité économique qui n’est pas rencontrée. Et c’est dans ces projets là où on a le plus fort impact, plus que pour ceux qui ont déployé et qui ont eu une utilisation pendant 5 ou 7 ans. C’est dans tous ces projets qui capotent, dans les premiers moments, que l’on observe qu’il y a un fort impact, parce qu’ensuite, personne ne récupère les objets.
Pour tous ces équipements abandonnés, il n’y a pas d’obligation, il n’y a pas de réglementation qui oblige les prestataires, les entreprises à bien gérer tout le cycle de vie ?
Alors sur tout le cycle de vie, pas à ma connaissance. Bien sûr, en Europe, il y a la réglementation DEEE, par exemple, qui oblige à considérer un déchet et à le faire entrer dans un circuit de gestion de déchets. Mais pour que ça rentre dans la réglementation DEEE, il faut déjà que l’entreprise en question reconnaisse que c’est un déchet et qu’il faut le désinstaller.
Et c’est là où, parfois, on installe un système, il n’est certes pas utilisé, mais de toute façon il est là, et puis on s’en occupe pas. C’est là-dessus qu’il y a des problématiques en termes de réglementation. Peut-être qu’on verra émerger quelques nouvelles réglementations dans un horizon, j’espère au moins de quelques années en Europe, pour pouvoir, d’une part, prendre conscience et, d’autre part, prendre des mesures.
On a parlé de deux des impacts environnementaux de l’IoT. Est-ce que tu sais s’il y a des sujets d’écoconception, que ce soit matériel ou logiciel, des objets connectés, qui permettent justement d’allonger la durée de vie et éventuellement d’augmenter leur réutilisation, leur recyclabilité ?
Sur l’écoconception sans que cela ne le soit dit réellement, d’un point de vue logiciel, beaucoup des développeurs de solutions, notamment dans les logiciels embarqués, sont dans une démarche d’écoconception, parce que souvent on est dans des milieux contraints d’un point de vue énergétique. Et donc ils font attention à ça. C’est un peu moins vrai maintenant qu’on a des plateformes qui sont quand même assez confortables d’un point de vue processing power et batterie. Mais beaucoup sont encore dans cette logique où chaque ligne de code compte.
D’un point de vue logiciel embarqué, tant qu’on n’est pas sur des grosses plateformes, souvent proposées par des GAFAM, on observe une certaine sensibilité des développeurs là-dessus, sur l’optimisation, l’efficacité des différents choix algorithmiques.
Cela dit, il y a l’avènement du edge computing, qui fait qu’on commence à sortir de cette notion d’écoconception, parce que ce n’est pas encore le principal sujet. Le principal souci des différents industriels est quand même plutôt une logique d’efficacité opérationnelle et d’efficacité financière.
J’aimerais qu’on puisse commencer à voir des référentiels d’écoconception. D’ailleurs, je te fais un petit clin d’œil, Richard, en me disant qu’un des enjeux que j’aimerais qu’on puisse adresser tous ensemble sur ce marché, c’est d’avoir un référentiel d’écoconception de services Internet-des-Objets qui serait peut-être une déclinaison du référentiel général auquel tu as pu contribuer. Parce qu’il y a des bonnes pratiques qui seraient facilement mises en œuvre, notamment d’un point de vue matériel. Il faut juste que les personnes en ait conscience.
J’en discute avec quelques fabricants qui ont effectué des études, des analyses du cycle de vie de leurs objets et qui se rendent compte que le packaging, le carton qu’on utilise dans la livraison, peut peser jusqu’à 30% de l’empreinte environnementale de leurs objets. Et c’est plus facile de mettre en œuvre quelques actions de réduction de ces empreintes, par exemple, sur le packaging ou la distribution, plus que sur la fonctionnalité. Mais ça peut avoir un impact très intéressant et très important d’un point de vue environnemental. Sur le matériel il y a quelques actions de réflexion sur les coques plastiques plus ou moins épaisses, des types de peinture. On parle même avec certains d’arrêter d’utiliser quelques granulés plastiques et des retardateurs de flamme, parce que l’empreinte environnementale est très impactante comparée à l’apport de leur utilisation. Mais là, il n’y a pas de règle générale. C’est quand même souvent pour chaque cas d’usage qu’on va regarder quels sont les différents leviers.
Tu es le seul à te poser des questions dans cette industrie, sur les questions environnementales et sociales, non ?
À titre d’organisation et professionnalisation du sujet, c’est vrai qu’avec Mavana, on a l’air d’être un peu des ovnis. Je n’ai pas précisé, mais on est 5 associés qui avons fondé Mavana et 4 d’entre nous ont évolué dans le monde de l’Internet-des-Objets pendant 15 à 20 ans. Et on a fait partie du problème pendant très longtemps. Moi-même, j’étais en direction des ventes où mon organisation au quotidien avait pour rôle de vendre le plus possible d’objets, quelle qu’en soit l’utilisation.
Et quand j’ai fait ce pas de côté, quand j’ai pris ce recul avec ma conscience environnementale personnelle qui me dit : “j’ai une dissonance cognitive, fais quelque chose”. Au début, je me suis dit que j’allais être un peu seul. En fait, j’ai vite rencontré des collègues qui ont adhéré à la même vision. On a fondé Mavana et lorsqu’on discute avec les professionnels du marché, on nous ferme pas la porte, on nous dit pas, non, ça nous intéresse pas. Donc, il y a une sorte de conscience, un peu latente, parce qu’elle ne se dit pas, qu’il y a une importance à faire tout ça.
Maintenant, rares sont encore les organisations, parmi les fabricants, qui ont mis les moyens, qui ont pris le temps d’avoir ces réflexions. Je reste optimiste en disant que j’en vois de plus en plus, quand même qui qui s’y mettent. C’est souvent ou bien de très grosses entreprises qui ont un enjeu fort, souvent motivé par la finance, à faire de l’écoconception, parce qu’on réduit les consommations matières, on réduit ce qu’on appelle la bill of material. C’est à dire l’ensemble de tous ces petits composants qu’on va mettre dans un objet connecté.
Il y a vraiment une sorte de de corrélation intéressante entre la performance opérationnelle et la performance environnementale. Et j’espère qu’on va pouvoir continuer à surfer là-dessus pour que ces entreprises continuent à réduire cette empreinte directe de l’IoT.
Après, il y a tous les petits fabricants qui n’ont pas les moyens de mettre en œuvre des diagnostics d’écoconception, des nouvelles pratiques d’éco-administration de leurs objets connectés, mais qui pourtant sont sensibles et qui, chacun de leur côté, mettent en œuvre quelques bonnes pratiques. Et ça, c’est ce qui me réjouit, c’est que je vois qu’il y a plein de petits acteurs qui ont chacun leur petite recette et, en fait, en fédérant tout ça, peut-être qu’on va arriver à faire quelque chose.
Maintenant, ça c’est la vue optimiste. La vue un peu plus pessimiste, un peu plus noircie, c’est que, au final, la rentabilité économique, le rendement financier prime, au-dessus de tout. Il m’est arrivé de discuter avec des fabricants et des opérateurs de services Internet-des-Objets qui œuvrent pour la préservation des ressources naturelles, comme j’ai évoqué plus tôt. Et quand on leur demande : est-ce que vous avez évalué l’empreinte environnementale de votre solution qui prétend réduire des consommations de ressources par ailleurs, pour pouvoir vraiment avoir un impact net et pouvoir être transparent sur ça coûte tant, ça rapporte tant, d’un point de vue environnemental et du coup on a un bénéfice net. Là, il n’y a pas grand monde. Et on m’a même répondu : “écoute, je vais d’abord faire du business avant de me flageller”.
J’ai discuté avec une collectivité il n’y a pas très longtemps qui me parlait d’installer des lampadaires connectés. Et j’ai posé la simple question : est-ce que vous avez tenu compte de la fabrication des objets ?”. Ils m’ont dit : “non, on n’a pas les chiffres, le prestataire ne nous a pas parlé de cela”. Que, globalement, ils ont l’intuition, quand même, de pouvoir agir au niveau du lampadaire, sur la puissance de la luminosité, sur le fait de l’éteindre ou pas, suivant les périodes, c’est plus vertueux. Globalement, le bilan est positif puisque d’avoir quelque chose avec un détecteur, ou d’avoir un paramétrage figé en usine sur les périodes où la luminosité est baissée ou que c’est éteint, c’est compliqué du coup pour eux, pour repasser sur les lampadaires, pour les modifier, c’est pas possible. Donc ils ont globalement l’intuition que c’est positif et ne se posent pas trop de questions. Ils n’ont pas du tout tenu compte dans ce bilan global, de l’impact de la fabrication de ces équipements.
Tu as raison et ça s’observe souvent et c’est souvent par manque de connaissance de ce que ça implique. C’est un peu le symptôme de : j’éteins la lumière et, du coup, je consomme moins. Mais si j’éteins les lumières en utilisant un produit qui lui-même a dépensé beaucoup d’énergie, je ne suis pas dans une rentabilité positive. Mais il faut déjà avoir conscience que fabriquer cet objet a coûté.
Le territoire ou la municipalité avec lesquels tu as pu discuter, malheureusement, n’avait pas d’informations. Pourtant ça existe. Il y a des fabricants en France qui font des solutions de gestion d’éclairage intelligent et qui ont fait l’effort des analyses de cycle de vie de leurs objets connectés et qui, du coup, peuvent montrer combien ça coûte d’installer cet objet connecté pour la télégestion des luminaires publics. Et on en calcule une rentabilité. C’est ce qui m’a permis de te dire un peu plus tôt dans la conversation, que la même solution est beaucoup plus intéressante quand tu utilises une vieille technologie de luminaires que quand on utilise une plus récente.
J’invite toutes les municipalités qui ont des luminaires qui ont plus de 15 ans de considérer l’IoT. Alors que si vous en avez depuis moins de 5 ans, cela se regarde un peu plus en détail parce que peut-être que c’est pas si rentable.
On a parlé des risques environnementaux, il y a également les vulnérabilités et les risques liés à la cybersécurité. Est-ce que c’est un sujet sur lequel tu travailles ?
Pas en ce moment. On n’a pas de sujet très précis sur la cybersécurité. Cependant, c’est un des enjeux qui est très important et que je vois souvent sous-estimé par les utilisateurs.
Pas obligatoirement par les fabricants, parce que les professionnels du marché qui vendent ces solutions, souvent intègrent des fonctionnalités de anti-replay. Pour rentrer un peu dans les détails, c’est faire en sorte de ne pas pouvoir capter sur les réseaux une trame d’information et tenter de prendre l’identité d’un objet connecté en se faisant passer pour cet objet parce qu’on a identifié quelle était la trame de cet objet.
Il y a différentes fonctionnalités comme ça qui sont intégrées par les professionnels du marché, qui ne sont pas vraiment visibles des utilisateurs. Cependant, plus on démultiplie le nombre d’objets connectés et plus il y a effectivement des risques d’attaques. Par exemple, du Denial of service où quelqu’un va prendre la main sur des objets connectés, va faire que ces objets vont tous parler sur le site de Techologie et vont faire que le site n’est plus disponible. C’est déjà arrivé par le passé.
Non, non, non, non !
Parce que c’est arrivé par le passé, pas pour Techologie, mais pour d’autres. Les fabricants ont pris conscience qu’il faut mettre en œuvre ce type de mécanismes pour prévenir ça. Puisque l’Internet-des-Objets est très fragmenté, qu’il y a énormément de petits acteurs qui développent des solutions, qui déploient des solutions, c’est autant de potentielles failles de sécurité et c’est un des enjeux qui n’est pas réellement adressé aujourd’hui.
Il y a un rapport de France Stratégie qui a été publié il y a quelques mois : « Le monde de l’Internet-des-Objets, des dynamiques à maîtriser ». Il y a pas mal de recommandations. Je te les propose, tu me donneras ton avis. Le rapport de France stratégie propose des pistes d’actions. Il y a 5 axes de recommandations : Donner les moyens de développer une vision stratégique de l’Internet-des-Objets : observer, mesurer, comprendre, protéger ; Développer la recherche et intensifier la présence française dans les instances de gouvernance de l’internet ; Permettre le développement de l’Internet-des-Objets éthiques et respectueux des utilisateurs, notamment concernant la protection des données personnelles ou non ; Soutenir le développement d’un internet des objets sobres et responsable ; Concevoir un Internet-des-Objets de confiance pour les entreprises, les citoyens et les acteurs publics.
Tu veux qu’on commence par quoi ? Il y a beaucoup de choses à dire.
Puisque tu as parlé de la sécurité avant, je vais prendre la partie qui parle d’éthique et de respect des données personnelles, et ça va faire un lien aussi avec le côté souveraineté française.
Un des sujets que j’observe dans l’Internet-des-Objets, c’est que la technologie sous-jacente, donc le matériel, mais également le cloud et puis maintenant, on parle de edge computing, provient souvent d’acteurs américains et chinois, et un peu moins européen. Il m’est arrivé de me retrouver confronté dans des projets à des incompatibilités de réglementations.
En Europe, on a la RGPD qui impose différentes bonnes pratiques sur les données personnelles. Et quelques acteurs industriels notamment, qui ne souhaitent absolument pas voir des informations fuiter vers d’autres états. Aux États-Unis, d’où proviennent beaucoup de fabricants, à la fois de silicium, des systèmes embarqués et du cloud, ils sont soumis au Patriot Act qui impose à un citoyen américain de divulguer des informations si les États-Unis lui demandent ces informations.
On se retrouve avec des solutions complexes Internet-des-Objets avec différents composants qui proviennent de différents acteurs qui ont des obligations, des considérations parfois divergentes. Je pense que la France et la Commission Européenne en ont conscience. Ils se rendent compte que ne pas maîtriser l’intégralité de la chaîne de ces composants nous rend certainement un peu vulnérable à de la techno-lutte provenant de différents états qui veulent récupérer des informations ici et là.
Je vais peut être un peu loin là dans les considérations. Pour résumer, l’Internet-des-Objets, certes, peut être utile, quand on préserve les ressources, mais il y a quand même un enjeu fort à maîtriser les différents composants de ces solutions, si on souhaite démocratiser l’utilisation de l’Internet-des-Objets dans la gestion de nos ressources, notamment électrique, notre agriculture, les bâtiments connectés, etc.
Tu as anticipé un peu une question que j’allais te poser à la fin sur les perspectives, mais on pourra peut-être détailler. Tu voyais d’autres points sur ce rapport ou d’autres réactions ?
Ça, c’était le côté éthique, respect des données privées, la souveraineté française. Dans la sobriété et la responsabilité, on en a un peu parlé. Chez Mavana, notre approche est que dans quelques projets, programmes, pour lesquels on nous sollicite, on essaie de prendre en compte non seulement, bien sûr, l’aspect technologique, la qualité des technologies, la qualité de la rentabilité financière, mais également la quantification environnementale et les impacts sociaux, et j’ai envie dire même sociotechnique.
Et c’est là dessus où sur le côté responsabilité et le côté éthique, il y a également tout un pan qui est rarement considéré. Qui est que quand on intègre ces nouvelles technologies dans une organisation, on perturbe le modus operandi, la façon dont les employés ou les parties prenantes travaillent. Et en perturbant cette façon de travailler, on apporte parfois des conflits, des conflits sociaux.
Il m’est arrivé de voir des projets avoir un succès technologique et une rentabilité financière et pour autant, avoir des centaines d’employés qui se mettent en grève parce que cela a trop changé leur métier. Et ça n’a pas été assez bien expliqué pour qu’ils puissent adopter des solutions telles quelles.
C’est un enjeu que les porteurs de projets doivent quand même avoir en tête. Là c’est quelque chose de très visible, tout le monde fait la grève. Mais parfois, c’est beaucoup plus subtil et sournois. Il y a des personnes qui travaillaient, qui avaient appris un métier et qui se retrouvent mis un peu de côté parce que l’utilisation du numérique ne leur est pas familier. Et c’est aussi un enjeu qu’il faut qu’on prenne tous ensemble. Numériser tout, tout le temps, parfois a un impact délétère sur les personnes à qui on essaye de rendre la vie plus facile.
On n’a pas parlé des réseaux. Il y a eu la controverse sur la 5G notamment. Pour toi, les technologies réseaux sont-elles très différentes au regard de leur coût environnemental ? Faut-il aller vers la 5G, 6G, etc. ?
Alors différentes, oui. Je distingue deux types d’impacts environnementaux. Il y a les impacts directs de la technologie elle-même et les impacts indirects. Si on prend les coûts énergétiques de ces différents types de réseaux, plus on avance dans les technologies réseau et plus on a une efficacité énergétique au gigabyte, pour faire simple.
Un gigabyte sur un réseau 5G pèse moins, d’un point de vue énergétique qu’un gigabyte sur un réseau 4G, qui pèse moins qu’un gigabyte sur un réseau 2G. Dans les natures même des réseaux, les réseaux GSM standard (2G, 3G, 4G, 5G aujourd’hui) pèsent plus qu’un réseau local wifi, qui pèse plus qu’un réseau filaire Ethernet.
Et dans l’Internet-des-Objets, toutes ces technologies peuvent être mises en place, en fonction de si c’est mobile ou pas. Et si ce n’est pas mobile, est-ce qu’on a un accès, est-ce qu’on a une couverture d’un réseau filaire ou pas. Toutes ces choses-là ont un impact, mais quand on regarde les chiffres, le plus important, c’est l’impact du matériel qui va être associé à ces réseaux. La notion de puissance de modulation pour accéder à un réseau 4G ou à un réseau de 2G va fortement impacter sur l’empreinte matérielle, sur la batterie, sur le module radio qui est utilisé. Et c’est surtout à ce titre-là que sur les réseaux qu’on appelle terrestres, on observe des impacts sur les ressources.
Aujourd’hui, il est quand même plus intéressant d’avoir une connectivité par Ethernet à beaucoup de titres, aussi bien sur la puissance utilisée, l’efficacité du réseau, etc., que sur un réseau sans fil.
Maintenant, on a des hypothèses qui souffrent d’avoir des données très concrètes, très tangibles à une échelle internationale. L’Ademe et l’Arcep ont sorti des études dans les deux dernières années, qui ont tenté de quantifier l’impact, notamment carbone, des réseaux mobiles, des réseaux filaires, etc. Mais c’est des informations qu’on n’a pas à l’échelle internationale. Et puis ensuite, maintenant, dans l’Internet-des-Objets, on parle également de réseau satellite, de réseaux qui n’utilisent pas des bandes de fréquences normalisées et licenciées. Et là il manque des données pour pouvoir quantifier de manière claire si c’est plus ou moins impactant. C’est une hypothèse qu’on a : que les réseaux satellites sont plus efficaces sur l’empreinte matérielle, mais il faut envoyer le satellite dans l’espace.
On n’a pas de données plus tangibles que ça aujourd’hui et j’espère qu’on pourra s’améliorer dans les années qui viennent.
Et est-ce que tu as des histoires, des anecdotes sur des utilisations, on va dire “tout pétées”, dans l’IoT, où ça ne fonctionne pas ou c’est complètement délirant ?
J’ai une anecdote qui peut faire froid dans le dos, où ça fonctionnait très bien. C’est l’histoire d’un succès technologique, mais d’un vrai désastre dans son utilisation. Il y a de cela une dizaine d’années, une entreprise qui commercialise du café nous a demandé de créer un système qui permettrait de connecter les machines à café. C’est une connexion dans 63 pays. On parle de plusieurs centaines de milliers, voire des millions de machines à café à connecter. Avec un défi de réussir à faire tout ça en moins de moins de 9 mois.
Donc l’entreprise nous dit : voilà, j’ai une machine, il y a une masse d’eau, du métal, un système existant. Il faut connecter tout ça, comprendre comment la machine fonctionne, interagir avec un fabricant chinois, une entité logicielle allemande, nous, et faire rentrer en moins de 9 mois, le design, la fabrication, le déploiement de toutes ces solutions.
Il s’avère qu’on a réussi. Parce qu’on avait les bonnes personnes autour du projet. Ça a bien percuté sur comment il fallait faire ça. Et au bout de 9 mois, cette organisation produit des centaines de machines qui sont – c’est souvent cas dans le monde industriel – vouées à être écrasées, mâchées, brûlées, etc., pour vérifier que les machines sont bien dans des conditions opérationnelles correctes. Déjà, on parle des différents gâchis avant même qu’on ait commercialisé quoi que ce soit.
Ensuite, le déploiement se fait. On envoie 250 000 machines dans 63 pays. Et quelques mois plus tard, le nombre de ventes reste à un zéro absolu. Nous, fabricants, on se dit qu’il y a quelque chose qui ne va pas.
Mais je n’ai pas compris, en fait, l’offre. c’est quoi ?
Justement, on va y venir. Donc, on a une machine à café connectée. A l’époque, la direction marketing de l’entreprise nous avait dit que c’est hyper important de connecter les machines, et qu’il aura une rentabilité économique en 14 mois. Et puis, surtout, qu’ils veulent bien contrôler quel type de café est utilisé dans ces machines là pour que les clients, qui sont principalement des hôtels, restaurants, événements publics, maintiennent leurs obligations contractuelles d’utiliser leur café.
Ils déploient ces machines, ils déploient un peu partout, mais ce n’est pas vendu. Après leur avoir demandé ce qui se passe, ils n’ont pas vraiment de réponse. J’ai fait la caméra cachée, c’est-à-dire qu’à l’époque, je vivais à Paris et j’ai demandé à la personne dans notre entreprise qui gère les achats de ce type de choses, d’aller contacter le représentant local de cette marque. Ce représentant vient et nous expose plein de belles choses sur leur café et sur leur machine, mais qui ne parle pas du tout du fait que la machine est connectée. Donc, au bout de 20 minutes, je leur demande : votre machine n’a pas des services à valeur ajoutée, des choses qui pourraient nous être intéressant ? Et la personne qui représente cette marque me dit : ah oui, c’est vrai, il y a quelque chose ! Elle sort de son sac, un papier tout froissé, qui expliquerait que cette machine à café est connectée. Et n’explique pas du tout à quoi ça sert.
Même moi qui ait contribué à ce projet, je dis attendez, mais vous, dans vos ventes, vous n’y voyez pas l’intérêt. Quand vous me le vendez, à moi, en tant que client, je ne vois pas mon intérêt. Donc, en fait, ce truc-là, il ne nous sert à rien.
La conclusion de tout ce projet, qui a quand même nécessité quelques millions de dollars d’investissement, quelques centaines de personnes qui ont travaillé, quelques milliers de machines qui sont déployées, c’est qu’en réalité, c’est une organisation qui avait les moyens de tenter de faire un peu d’innovation et qui s’est dit que l’innovation par elle-même va porter des fonctionnalités et des usages qui vont faire qu’on va pouvoir vendre des choses. Au final ce programme s’est arrêté parce qu’effectivement, il a servi à rien et personne n’a voulu utiliser les fonctionnalités tel que ça avait été désigné à l’époque.
Pour moi, cela a été un apprentissage fort. Il y a une une partie d’innovation technologique qui attire les fabricants mais qui, au final, n’a aucune utilité pour leurs parties prenantes et parfois même pour le fabricant lui-même, qui fait que à la fois le modèle économique, le modèle opérationnel, sont réduits à néant et ce n’est que des gâchis. Et ça, c’est un des exemples des échecs que j’évoquais plus tôt où je disais que trois quarts des projets de déploiement d’objets connectés échouent, dans ces trois quarts, car il y en a beaucoup qui échouent pas du tout techniquement, mais qui échouent juste sur le manque d’adéquation d’une technologie mise au service d’un ensemble de parties prenantes qui n’en ont pas besoin.
C’est normal que je ne comprenne toujours pas pourquoi on connecte des machines à café ?
En l’occurrence pour eux, leur idée c’était à terme, avoir de la commande automatique du café. Mais qui n’a pas d’intérêt pour pour le client final, c’est surtout de l’intérêt pour eux. Et pour ne pas dévoiler l’identité, c’est un des fabricants qui proposent des capsules et qui voulait identifier quel est le type de capsule qui est utilisé dans la machine, pour pouvoir détecter par exemple des fraudes d’utilisation de capsules qui proviendraient d’autres acteurs.
Les DRM appliqués au café !
Appliqué à la capsule qui est brevetée pour pouvoir conserver cette maîtrise.
Et tu as parlé de tes origines. Quels liens fais-tu entre tes activités, ta sensibilité écologique et tes origines malgaches ?
Alors beaucoup de choses, parce que c’est ce qui m’a amené à mon déclic. On parle souvent du déclic des personnes qui proviennent de la technologie et qui s’engagent ensuite dans l’environnement.
J’ai grandi à Madagascar mes premières années. Mes parents sont malgaches, donc j’ai grandi avec une certaine culture de pays où la vie n’est pas aussi facile, pas aussi confortable que ce qu’on peut avoir en Europe, et en France notamment. J’ai aussi vécu quelques années en Afrique, en Côte d’Ivoire notamment. J’ai joué dans la brousse. J’ai grandi en Bretagne. Mes rêves d’enfant, c’était la forêt de Brocéliande et les légendes arthuriennes.
Quand j’ai commencé à évoluer dans ma vie d’adulte, où j’étais plutôt dans un monde de technique et scientifique, j’ai toujours gardé cette relation à la nature dans ma vie personnelle. J’ai beaucoup voyagé pour vivre différentes expériences, dans le désert, dans la forêt, etc.
Et c’est en 2011 quand j’ai commencé à travailler sur des projets avec des industriels, en l’occurrence avec Schneider Electric sur les bornes de recharge de véhicules électriques, avec quelques industriels qui faisaient de la supervision de systèmes réfrigérants dans les grandes surfaces et l’optimisation de ses ressources, que j’ai commencé à voir une relation entre mes motivations personnelles et la technique que je pouvais mettre en œuvre. Mais cela a mis quelques années avant de vraiment prendre un pas où je me suis dit que je ne peux plus vivre dans ma dissonance cognitive où je voyais plein d’objets électroniques partir dans la nature et, comme je disais, ne pas être désinstallés, et ce que je tentais d’appliquer moi-même au quotidien, moi, ma femme, mon enfant.
Et ça a été un des éléments structurants pour moi pour prendre un peu ce pas de côté, sortir d’un poste où j’étais vraiment confortablement installé dans un acteur mondial, coté au Nasdaq. J’avais des actions dans cette entreprise, etc. Et cela a nécessité, bien sûr un effort de faire ce pas de côté, mais c’est un effort qui a été mûri, en fait, pendant dix ans et qui m’a permis ensuite de sortir plus facilement de ce monde-là.
Et pour conclure, une dernière question : quelle perspective vois-tu pour l’Internet-des-Objets, en termes de réglementations, notamment environnementales, sur les questions d’approvisionnement, de géopolitique… ?
En termes de réglementation, je pense qu’on est à l’aune d’une ère où on va commencer à imposer, de montrer « patte verte ». C’est-à-dire que des déploiements d’une certaine ampleur devrait pouvoir émettre des rapports qui prouvent combien ça coûte environnementalement et ce que ça peut rapporter. J’en ai bon espoir, parce que je vois différentes instances gouvernementales à l’échelle nationale et à l’échelle européenne qui réfléchissent et qui commandent des études dessus.
Maintenant d’un point de vue géopolitique, stratégique et même d’un point de vue éthique, il y a énormément de pression sur l’émergence des technologies Internet-des-Objets pour pouvoir contrôler les consommations énergétiques, les consommations en ressources, etc. Et comme je l’ai dit un peu plus tôt, les entités, les organisations qui contrôlent ces technologies ont, lentement, pris et vont continuer à prendre du contrôle sur ce qu’on peut en faire.
Je vais donner un exemple sur lequel je pense qu’en Europe on commence à peine à s’en rendre compte. Dans l’Internet-des-Objets, les technologies réseaux, les technologies matérielles et Cloud sont principalement détenus par des organisations américaines. Pourtant, dans l’Internet-des-Objets, il y a des réseaux très spécifiques. Le réseau Sigfox, dont on a beaucoup entendu parler en France parce que c’est un réseau qui se veut bas débit, faible en consommation électrique, et donc énergétique, mais également le réseau LoRa, qui est un autre type de réseau assez similaire, mais avec différentes distinctions.
Ce sont deux technologies qui ont été inventées en France. LoRa par une société qui s’appelle Cycléo, qui a été rachetée en 2012 par une entreprise américaine. Sigfox, qui, jusqu’à récemment, était française et qui vient de se faire acheter par une entreprise de Singapour.
Avant ça, on avait des expertises réseaux, principalement du fait qu’en France on avait Alcatel-Lucent, Orange, enfin on a encore Orange. Ces expertises réseaux, on a commencé à les disséminer dans différentes organisations qui ne sont plus françaises ou européennes. On a perdu un peu de notre connaissance, de notre contrôle de ces différentes technologies et on se retrouve à devoir acheter des compétences, des technologies à l’international, qui nous rendent beaucoup plus dépendants, dans notre maîtrise à la fois technologique de l’Internet-des-Objets, mais également de tout ce qui est sous-jacent.
Aujourd’hui, on parle de Smart Grid, d’énergies renouvelables, de smart agriculture, d’usine connectée pour la souveraineté de nos activités. Et, malheureusement, en voulant reprendre la souveraineté de ces activités-là, et notamment avec les EnR (énergies renouvelables), on est en train de redonner du contrôle à ces grands acteurs par ailleurs.
Je vais finir par là où je voulais en venir. Il y a une opportunité pour la France et l’Europe de reprendre un peu de contrôle. Parce qu’on a conservé des compétences de développement de logiciels embarqués, d’optimisation de ressources matérielles embarquées, dans le edge computing, notamment, qui nous permettent de mettre en œuvre certaines solutions sans avoir à se rendre de nouveau dépendant des grands hyperscalers, Gafam et autres côté Cloud. Et c’est une des choses que l’Europe commence à réfléchir aujourd’hui, à la fois dans les instances gouvernementales et dans les instances industrielles, pour voir comment on peut reprendre du contrôle en promouvant l’avènement de solutions IoT pour pouvoir avoir plutôt du edge computing, plutôt que donner pouvoir aux Gafam, notamment, qui possèdent toutes les données.
Cependant, ça vient aussi au détriment du fait qu’il y a une empreinte environnementale de ces objets et c’est l’équilibre difficile à avoir dans les prochaines années.
Une autre note qui me rend optimiste sur ce qui va se passer dans le futur proche, c’est que deux ministères ont lancé le Haut Comité pour un Numérique Éco-responsable en novembre dernier. Ce Haut Comité a pour ambition de mettre autour d’une même table différents acteurs industriels du secteur du numérique pour réfléchir à comment on peut tenter de « décarboner » le secteur du numérique et comment le numérique peut tenter de “décarboner” d’autres filières, des activités industrielles en France.
Et dans le cadre de ce Haut Comité, on a créé un sous-groupe focalisé sur l’Internet-des-Objets. Parce qu’il est très transversal et qu’il à-dire des contraintes un peu particulière. Je l’ai évoqué tout à l’heure : les objets connectés, contrairement à d’autres objets numériques, ont pour vocation d’avoir une très longue durabilité et, du coup, une façon de fabriquer et de concevoir ces objets un peu différente.
L’une des choses que je vois de manière très positive, c’est que, étant pilote de ce groupe-là, j’ai fait appel à différents industriels pour qu’on puisse réfléchir ensemble à comment réduire l’utilisation des matières premières, comment optimiser les procédés de fabrication, de distribution des objets connectés, comment on peut mieux maintenir, mieux utiliser ces objets connectés pour que ça consomme moins d’énergie, moins de ressources sur tout le cycle de vie de ces objets. J’ai eu beaucoup de réponses positives des industriels qui contribuent à ces travaux. On se réunit toutes les deux semaines pour réfléchir ensemble à ces différentes bonnes pratiques.
Il y a des industriels spécialisés dans les compteurs d’eau connectés, des détecteurs d’ouverture de fenêtre dans les bâtiments, des thermostats. On a d’autres industriels qui ne contribuent pas aux travaux mais qui ont émis la volonté de pouvoir être relecteurs de ces différents leviers d’action qu’on va pouvoir rédiger, pour pouvoir donner un avis sur la faisabilité ou non, de manière industrielle et à l’échelle de ces différentes bonnes pratiques.
Et ça me rend plutôt positif, sachant que l’ambition, c’est d’intégrer tous ces leviers d’action, pas seulement ceux qui proviennent du monde de l’IoT, mais vraiment numérique au sens large, dans la mise à jour de la Stratégie Nationale Bas-Carbone qui devrait voir le jour, je l’espère, courant 2023 pour pouvoir ensuite déployer ces nouvelles bonnes pratiques auprès de l’ensemble du marché.
Merci beaucoup Gillo, merci d’être venu nous partager toutes ces infos et ces retours d’expérience.
Merci à bientôt.