14 décembre 2023

Evaluation de l’impact environnemental de l’IoT en France

Nous vivons avec cette contradiction tous les jours : en matière d’environnement, le numérique fait à la fois partie du problème et de la solution. Et donc, naturellement, se prétendre experts de l’internet-des-objets et souhaiter aider les entreprises à réduire leur empreinte environnementale, ça nous porte à évoluer tous les jours sur un chemin de crête… 

Alors quand nous avons appris que l’ADEME1 et l’ARCEP2 avaient évalué ensemble l’impact du numérique dans une mission commune mandatée par le Ministère de la Transition écologique et le Ministère de l’Économie, des Finances et de la Relance, eh bien nous nous sommes précipités sur leur rapport pour en tirer quelques enseignements. Et nous n’avons pas résisté à faire une analyse de l’analyse.

Une approche par Analyse de Cycle de Vie (ACV)

Fin janvier 2022. Les excès des fêtes de fin d’année sont à peine digérés que nous voilà déjà prêts à manger en quelques minutes heures jours les 427 pages (+ 48 pages de synthèse) de l’évaluation de l’impact environnemental du numérique en France, fruits d’un travail de 18 mois mené par les cabinets Deloitte, l’IDATE et Negaoctet. Et quand on en clôt le dernier chapitre, on se dit que – vraiment – évaluer l’impact du numérique est bien plus complexe que nous le pensions quand on s’est lancés dans l’aventure Mavana !

Cela dit, ça nous a fait également chaud au cœur de lire nos confrères valider notre approche du métier, en appliquant au numérique dans sa globalité ce que nous tentons de démocratiser dans la filière internet-des-objets (IoT, pour internet-of-things) : une approche par Analyse de Cycle de Vie (ACV) afin d’avoir une vue multi-composantsmulti-étapes et multi-critères.

Ce rapport, il faut le reconnaître, tente d’englober le numérique dans son ensemble mais s’est vu contraint à beaucoup d’hypothèses et de coupes franches (par exemple sur la technologie RFID, exclue de l’étude faute de données quantifiées). En extraire les informations spécifiques à l’IoT nous a donc demandé de piocher les bonnes informations aux bons endroits et de sortir notre calculette boulier.

L’impact environnemental de la production d’objets connectés (enfin) quantifié

Même si “la définition du périmètre des équipements considérés comme de l’IoT ne fait pas encore l’objet de consensus” (volet 2, p. 209) le rapport tente d’extrapoler le nombre d’objets connectés en France, reportés dans 18 catégories allant des volets connectés (la plus petite catégorie avec un peu moins de 600 000 items) aux équipements connectés utilisés dans le bâtiments commerciaux (plus de 81 millions d’objets).

Notons que l’empreinte environnementale des objets connectés est principalement incluse dans les importations de ces dits-objets, du fait des activités d’extraction des ressources, de transformation des matériaux, de production d’équipement et de transport depuis l’Asie vers l’Europe (en avion, bateau ou train).

Selon la méthode ACV, cette empreinte est donc évaluée sur 12 critères, parmi lesquels l’empreinte carbone.

La lecture à la loupe (et l’utilisation du boulier donc) nous permet de déduire qu’aujourd’hui, en France, la fabrication d’équipements IoT représenterait entre 4.5% et 6.3% de l’empreinte environnementale du numérique français (on indique ici une fourchette puisque cela est fonction de l’indicateur considéré). Et cette contribution d’environ 5% à l’empreinte environnementale du numérique est à mettre en regard avec les 16% des Français qui, selon l’ARCEP, possèdent un objet connecté (incluant à la fois les usages personnels et professionnels d’équipements IoT, mais excluant ordinateurs, tablettes et smartphones).

Un impact unitaire relativement faible, mais une croissance problématique

Il y avait déjà en 2020, comme le rappelle le rapport, 22.2 millions d’abonnements MtoM (Machine-to-Machine) sur les réseaux cellulaires en France (2G, 3G, 4G). Votre serviteur a pris la liberté d’aller chercher la mise à jour de ce compte, qui a déjà été porté à 23.2 millions en septembre 2021. Or, ce compte exclut l’impact de l’avènement de la 5G (qui n’était que naissant en 2021) ainsi que les équipements connectés via d’autres réseaux, tels que LoRaWANSigfox ou encore les réseaux satellitaires (Kineis ou Eutelsat par exemple).

Le problème viendrait donc de la dynamique.

Les objets connectés ne représenteraient pour l’instant qu’une fraction de l’empreinte carbone nationale (0.14% selon la quantification de l’étude) mais leur potentiel de développement est un risque sur :

  • l’augmentation de l’empreinte carbone et des radiations ionisantes,
  • l’épuisement des ressources abiotiques (non vivantes) fossiles et naturelles (minéraux et métaux)

Certes, pris individuellement, l’impact d’un équipement IoT est faible, mais leur nombre déjà élevé et croissant génère un impact loin d’être négligeable au global ! Les auteurs du rapport estiment par exemple que la croissance du parc d’équipement IoT en 2021 serait de +21.6% !

La phase de fabrication des équipements pèse encore aujourd’hui pour 80% de leur impact (voire davantage quand les objets sont en grande majorité du temps en mode veille, comme l’est un appareil de contrôle de luminaires publiques par exemple), mais nous voyons émerger de nouveaux usages : des dispositifs qui étaient jusqu’à présent déconnectés du réseau échangent désormais de nombreuses informations et entrainent une croissance de la consommation de données.

Le rapport indique même que l’augmentation des équipements IoT entraînera mécaniquement un doublement des communications machine-à-machine et que, même si des innovations permettaient de réduire la pression environnementale de cette filière, “il est essentiel que des mesures objectives soient réalisées pour mesurer les impacts environnementaux induits [et les] rebonds de tels services. […] Il serait en particulier intéressant de développer dans ce cadre un référentiel de critères permettant d’évaluer si une innovation sera au service de la transition écologique.” (Volet 1, p. 154) (ah ah, c’est marrant, nous avions a été lauréats d’un prix régional justement sur ce sujet en 2021

Ralentir la croissance du parc IoT et ne pas créer de déchets inutilement

Nous l’avons vu plus haut, la phase d’utilisation des objets connectés compterait pour moins de 20% de leur impact environnemental (en considérant le mix énergétique de la France métropolitaine). L’impact de cette utilisation (qui, par définition, nécessite l’utilisation d’Internet) sera donc fortement corrélé aux coûts environnementaux des réseaux et centre de données.

Dans leur globalité, les réseaux fixes (xDSL et fibre) génèreraient plus d’impact que les réseaux mobiles (du fait de l’intensité des usages et des équipements nécessaires à installer chez les utilisateurs). Cependant, le coût énergétique unitaire des réseaux fixes (0,0342 kWh/Go) serait 7 fois plus optimisé que celui des réseaux mobiles (0,237 kWh/Go).

On pourrait en conclure en première approche que – quitte à utiliser des objets connectés – autant utiliser ceux qui sont reliés aux réseaux fixes. Attention tout de même : la consommation électrique totale dépend de nombreux facteurs, tels que la densité de population, la technologie de réseaux (par exemple la 5G vs le 3G), le type de terrain, et même du taux d’utilisation de la capacité du réseau lui-même.

Au final, on recommande plutôt l’approche pragmatique : si l’objet est déjà installé, fonctionnel et est réellement utilisé, autant le laisser tranquille et ne pas créer un déchet électronique inutilement (l’étude rappelle d’ailleurs que la durée de vie d’un objet connecté varie en moyenne entre 4 et 12 ans).

D’autant que le rapport reprend un livre blanc de Schneider Electric qui indique que, en moyenne, les équipements IoT seraient en mode “inactif” (“idle mode”) pendant 50% du temps. Ce qui modère pas mal l’empreinte de leur usage.

En somme, il convient surtout d’étudier, pour chaque situation, la pertinence (technique et sociale) et la rentabilité (économique et environnementalede l’utilisation d’un objet connecté. Oui, un objet connecté a un coût et il faut le comparer aux bénéfices potentiels.

Quelle différence y-a-t il entre le bon et le mauvais IoT ?

Nous n’avons malheureusement pas de lunettes magiques qui permettraient d’identifier instantanément ce qui tient du bénéfique ou du délétère. Mais une analyse (même simplifiée) sur l’intégralité des étapes d’une solution IoT permet bien souvent d’évaluer (même grossièrement) l’intérêt d’une telle solution. Et cette analyse peut être faite en amont pour identifier les alternatives possibles ou valider/invalider une décision, comme en aval (une fois installée donc) pour faire un bilan et identifier de possibles corrections de trajectoire.

C’est l’approche que nous préconisons et pilotons pour nos clients : à l’instar d’une entreprise qui évaluerait comptablement le retour sur investissement potentiel d’un projet (notre experte dirait plutôt TRI ou ROI), nous introduisons chez nos clients la notion de rentabilité environnementale afin d’évaluer la pertinence du lancement d’un projet IoT (en comparaison à un scénario de référence sans IoT).

Et c’est là que le rapport apporte la cerise après le fromage : ils préconisent l’utilisation de labels, de certifications ou d’affichage environnemental pour guider les utilisateurs dans leurs choix. Ils indiquent même que ”l’écoconception et les communications environnementales des téléviseurs et équipements IoT serait à prioriser car ces terminaux sont susceptibles de présenter la part de consommation énergétique majoritaire dans les années à venir en phase d’utilisation.” (Volet 1, p. 131)

Eh bien qu’à cela ne tienne : chez Mavana nous sommes justement à fond à travailler sur nos deux projets Sobr-IoT (affichage environnemental pour les équipements IoT) et Carbon Bounty (calcul de rentabilité environnementale et moteur de recommandations). Certes ces deux projets sont encore un peu confidentiels, mais promis nous vous en parlerons davantage en 2022.

Nos réserves sur cette étude

Sur l’inventaire des utilisateurs de l’IoT d’abord :

      • Concernant les abonnements MtoM “cellulaires” en France (chap. 4.6.1.5, p. 70 du volet 2), l’hypothèse d’un ratio de 12.7% d’abonnements professionnels vs abonnements personnels nous semble incohérent avec notre connaissance du marché, mais cela dépend peut-être simplement d’un souci de catégorisation (un compteur Linky est-il personnel ou professionnel ?)

      • Les réseaux “non cellulaires”: cette étude passe totalement sous silence les équipements IoT qui utilisent des réseaux qui ne sont pas ou peu régulés par l’ARCEP , tels que les protocoles qui utilisent les bandes industrielles, scientifiques et médicales, dites “ISM”). On compte dans cette catégorie les réseaux LoRaWAN et Sigfox notamment, qui sont loin d’être anodins dans les tendances du moment.

      • La technologie RFID, qui “peut être considérée comme un exemple extrêmement simplifié et précoce de l’IoT” (Volet 2, page 60), mais pour laquelle les auteurs n’ont pas réussi à déterminer les ventes et les stocks en France. Cette technologie a été par conséquent explicitement exclue de l’étude par faute de données.

      • L’étude indique ne pas considérer l’utilisation de l’internet-des-objets faite par les secteurs de la banque et du commerce. Pourtant… ces secteurs en utilise chaque minute : les terminaux de paiements…

      • L’absence ou non de prise en compte des véhicules connectés mériterait d’être un peu plus explicite. Et de manière générale, les véhicules connectés devraient faire partie intégrante de l’étude, surtout quand on sait que le service eCall est obligatoire depuis 2018 en Europe, que les véhicules autonomes sont là, et que les services d’autopartage, tels que Citiz, se démocratisent.

    Sur les quantifications ensuite :

        • L’introduction d’une nouvelle technologie nécessite toujours une phase d’intégration, puis une phase d’adaptation avant l’utilisation nominale. Ces deux phases liminaires sollicitent souvent beaucoup d’énergie, notamment de déplacements pour des tests de terrain par exemple. Sans compter la maintenance accrue lors des premiers déploiements (remplacement de batteries, réparation, etc). Tous ces éléments ne sont pas considérés dans l’étude et portent à croire que l’évaluation de l’impact du secteur IoT aurait été bien plus élevé si cela avait été le cas.

        • La modélisation des catégories d’objets connectés (18 en tout) est intéressante mais il manque une vue plus fine sur les types de technologies utilisées (un module radio Bluetooth présente une bien moindre complexité qu’un modem 5G, voire 3G). De même, les technologies d’antenne, l’utilisation d’une batterie ou non, la puissance de calcul voire la tropicalisation des composants sont autant d’éléments structurants de l’empreinte environnementale.

        • Le manque de quantification des impacts de la partie serveurs virtuels (cloud). Il aurait été intéressant d’obtenir une vision (même grossière) de l’impact d’un Go traité et stocké dans le cloud (au même titre qu’ils ont estimé le “coût” en kWh d’un Go sur les réseaux). Les auteurs précisent tout de même que “l’usage exact qui est fait des centres de données, ainsi que les impacts associés, ne peuvent pas être définis spécifiquement, ni reliés à des fonctionnalités précises. A ce sujet, il serait intéressant que les fournisseurs de services affichent les impacts environnementaux liés vers leurs utilisateurs” (Volet 2, p. 173)

      Leur carnet d’adresse enfin :

      Les auteurs disent vouloir “lancer une étude sur les objets connectés afin d’identifier les principaux impacts environnementaux et les gains de productivité utiles à la préservation de l’environnement” mais ils ne nous ont pas encore appelé ! Youhou ! on est là.

      En guise de conclusion

      Les 7 principes d’actions que nous inspire ce rapport :

          • lutter contre la prolifération irraisonnée de nouveaux objets connectés gadgets. Parce que chaque nouvel objet connecté fabriqué puise davantage dans nos limites planétaires.

          • privilégier un usage judicieux des équipements IoT. Par exemple pour les substituer à des activités humaines autrement plus impactantes ou réduire les dépenses énergétiques de processus existants.

          • préférer l’usage des réseaux fixes aux réseaux mobiles, quand cela est possible (et quand ça n’induit pas de dépendances à des utilisateurs non avertis).

            • se contraindre à une consommation raisonnée : ai-je vraiment besoin de remonter toutes ces données toutes les secondes ou puis-je me satisfaire d’une seule valeur moyenne par heure ?

            • repousser l’obsolescence au maximum afin que les objets connectés ne soient pas inutilement usés (par exemple en batterie ou en écriture mémoire).

            • prolonger les infrastructures au maximum afin que des objets en parfait état de fonctionnement ne deviennent pas des déchets du simple fait que les technologies qu’ils utilisent ne sont plus disponibles.

            • quantifierquantifierquantifier : avant, pendant, et après l’intégration. C’est ce qui nous permettra de piloter au mieux les impacts.

          Il y en a certainement plein d’autres principes d’actions, mais vous aurez compris l’idée : c’est en devenant des consommateurs d’objets connectés avertis et responsables que nous limiterons l’impact environnemental de l’IoT sans en compromettre son intérêt.

          Nous remercions chaleureusement pour leur gros travail :

          Les contributeurs du référentiel NégaOctetDeloitteIDATEThibault Pirson et David Bol de l’UC Louvain, The International Energy AgencyRTEecoinvent.org et bien sûr l’ADEME et l’ARCEP.


           

          1 ADEME = Agence de la transition écologique

          2 ARCEP = Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse

          Objectifs de développement durable

          Le thème de cet article répond aux ODD suivants :
          => 9. Industrie, innovation et infrastructure
          => 12. Consommation et production responsables

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