28 septembre 2023

Les impacts énergétiques et carbone des activités et services numériques au quotidien

La Commission Européenne a publié en juin 2023 son rapport sur l’empreinte énergétique des activités et services numériques. Ce rapport vise à augmenter la transparence et identifier les leviers comportementaux pour atténuer les impacts négatifs des technologies numériques. S’appuyant en partie sur une analyse des travaux déjà disponibles sur le sujet et en partie sur des Analyses de Cycle de Vie, l’étude se concentre sur l’impact souvent négligé des Technologies de l’Information et de la Communication (les TIC), en établissant des estimations pour dix activités et services numériques communs. Les résultats de ce rapport1, disponibles en anglais sur le site de la Commission, contribueront à la mise en œuvre du Plan RePowerEU et du Pacte vert européen, en aidant à agir sur la consommation énergétique croissante du secteur des TIC.

Nous vous proposons ci-dessous un résumé des enseignements-clé fournis par ce rapport.

Plusieurs études et estimations existantes, mais de qualité inégale

L’analyse des études déjà existantes révèle que les estimations de la consommation énergétique de dix comportements numériques courants sont inégales. Des actions comme le streaming vidéo, les jeux, les visioconférences, le streaming musical et le stockage cloud sont bien documentées, particulièrement depuis la pandémie de COVID-19. D’autres, comme l’envoi d’e-mails, le téléchargement de fichiers, l’utilisation des réseaux sociaux et l’extinction du Wi-Fi, ont été moins étudiés, souvent en raison d’un manque de données et d’impacts individuels plus faibles. L’impact des technologies disruptives, telle que l’informatique quantique, reste relativement peu évalué, à l’exception de la technologie de communication 5G qui bénéficie d’un ensemble abondant d’études (explicitant ses impacts sur la consommation énergétique de tout le secteur des TIC).

Vue d'ensemble des types de sources dans les études déjà existantes
- études académiques : 52%
- études gouvernementales : 19%
- entreprises : 19%
- think tank : 6%
- organisations internationnales : 4%

Par ailleurs, différentes méthodes d’évaluation ont été comparées dans l’étude et, tout compte fait, l’ACV se révèle bel et bien être l’outil le plus précis et le plus utilisé pour estimer la consommation énergétique des comportements numériques, malgré certaines variabilités limitant la comparabilité des résultats. D’autres méthodologies, comme la modélisation et la mesure directe, sont également considérées comme efficaces. Cependant, la comparaison des estimations est restreinte en raison de différentes hypothèses et limites systémiques adoptées dans les analyses.

Des impacts faibles de manière unitaires, mais très importants au global

L’étude confirme que la consommation énergétique des activités numériques quotidiennes est considérable et que des économies d’énergie significatives peuvent être réalisées lorsque des comportements plus durables sont adoptés par les utilisateurs.

Les technologies numériques semblent aujourd’hui essentielles à notre société connectée et soutiennent la réalisation de certains objectifs sociaux et environnementaux, par exemple en favorisant le télétravail, l’apprentissage à distance et les soins de santé. Elles génèrent cependant des émissions de gaz à effet de serre et consomment une part croissante de l’électricité mondiale, attendue à 13% d’ici 2030 (tandis que la consommation en 2020 était estimée entre 3 et 6%) . L’impact énergétique des activités numériques, bien que faible par utilisateur, devient considérable lorsque multiplié qu’il est répété au fil du temps par l’ensemble des utilisateurs. Ainsi, face à la crise énergétique et à l’initiative RePowerEU, il est crucial de sensibiliser les utilisateurs à l’impact de leurs activités numériques et de promouvoir des pratiques plus durables.

Les impacts de 8 activités numériques du quotidien (valeurs moyennes européennes)

Pour 1 heure d’activité numérique, des impacts qui vont du simple au triple (en moyenne)

Les lecteurs les plus tatillons auront peut-être observé que 1h de streaming de musique semble plus émetteur qu’une 1j de streaming vidéo, ce qui peut sembler contre-intuitif. Ce phénomène est dû au fait qu’il s’agit ici de valeurs moyennes, en Europe, qui considère une répartition du parc de terminaux différents pour ces deux activités, ainsi que des caractéristiques de centre de données différentes. Par exemple, pour le streaming video, il a été considéré que près de 65% des vidéos étaient consultées sur smartphone, environ 14.5% sur téléviseur et “seulement” 7% sur ordinateur portable. Cette répartition est différente concernant la musique, avec 40% de smartphone, un peu plus de 16% de téléviseur et “seulement” et près de 17% d’ordinateurs portable.

Par ailleurs, sur le streaming video, seule une entreprise (Netflix) a soumis des informations chiffrées aux auteurs de l’étude, ce qui est une limitation importante de l’exercice.

50 fois moins d’impact pour un fichier stocké sur un ordinateur (plutôt que sur le Cloud)

Les émissions évitées par 2 actions du quotidien

Le cas particulier et controversé du streaming video

La diffusion de vidéos en continu (video streaming) est un comportement numérique qui suscite une grande attention, notamment depuis la pandémie de COVID-19. Selon Ericsson, en 2021, 69% des connexions mobiles concernaient la diffusion de vidéos2, dont un tiers provenait uniquement de Netflix et Youtube. Cisco indique une hausse annuelle mondiale de près de 25% des services de diffusion de vidéos3, augmentant les préoccupations sur la consommation énergétique future du secteur des Technologies de l’Information et de la Communication. Bien que l’impact d’une seule personne réduisant sa consommation d’énergie liée à la diffusion de vidéos soit modeste, des économies d’énergie importantes sont possibles à l’échelle européenne ou mondiale.

Le débat sur la consommation d’énergie de la diffusion de vidéos est très controversé. En 2020, l’Agence Internationale de l’Energie (AIE4) a critiqué certaines hypothèses de consommation d’électricité élevée utilisées dans le think tank The Shift Project5, les jugeant exagérées et obsolètes6. L’AIE a argumenté que ces hypothèses ont largement surestimé la consommation énergétique globale de la diffusion en continu de vidéos. Suite à ces critiques, des corrections ont été apportées dans les estimations de 2020.

D’autre part, d’après Manokin7, les modèles actuels de représentation conceptuelle des services vidéos sont soit trop vagues, soit incomplets. Ils ont donc proposé un modèle global plus détaillé. Cependant, bien que ces études mettent en évidence la consommation d’énergie liée à la diffusion en continu, leur principal focus reste l’empreinte carbone, ce qui peut affecter la méthodologie utilisée.

Une chose à retenir – selon la majorité des chercheurs s’intéressant au sujet – est que l’appareil de visionnage est souvent la plus grande source de consommation d’énergie lors de la diffusion de vidéos. La consommation d’énergie varie beaucoup selon l’appareil utilisé, principalement en raison de la taille de l’écran et de la technologie d’affichage. Les téléviseurs, avec leurs grands écrans, sont généralement les plus énergivores, tandis que les smartphones et les tablettes sont plus économes en énergie. De plus, les estimations peuvent varier selon le service de diffusion en continu, comme le montrent les études axées sur Netflix et Canal+. Ainsi, l’écart de consommation d’énergie entre différents services de diffusion en continu peut faire l’objet de débats.

Détails sur les calculs de consommation électrique

(attention, cette section est plutôt à destination des professionnels de l’ACV, si ce n’est pas votre cas, vous pouvez sauter directement à la section suivante)

La consommation électrique a été déterminée par une méthode hybride, combinant des approches basées sur les processus (process-based) et les entrées-sorties (input-output-based). L’approche basée sur les processus a évalué l’électricité nécessaire pour chaque acte numérique, tandis que l’approche entrées-sorties a évalué l’électricité consommée pour la fabrication des appareils et infrastructures en amont. Ces estimations se basent sur des données secondaires issues de la littérature, des bases de données et des études internes, principalement des statistiques de l’UE, mais aussi de quelques bases de données industrielles et de la littérature académique. Les impacts environnementaux de la consommation électrique ont été évalués via l’ACV, permettant d’estimer des impacts potentiels comme le potentiel de réchauffement global, l’acidification et l’eutrophisation. Cette méthodologie robuste et transparente a permis d’estimer précisément les impacts environnementaux liés à la consommation d’électricité des comportements étudiés.

Cette étude se focalise sur les comportements numériques en Europe en 2023, en se basant sur des données représentatives de cette période. Lorsque les données jusqu’en 2019 incluaient le Royaume-Uni, ces dernières ont été utilisées. Si des données étaient absentes, elles ont été remplacées ou extrapolées à partir d’informations datant de 2015 ou ultérieures.

Les limites de l’étude

Plusieurs flux n’ont pas été inclus dans cette étude en raison d’un manque d’informations sur les équipements et infrastructures les constituant, tels que les chaînes de télévision/radio, les réseaux d’entreprise, le réseau téléphonique commuté, et certains appareils électroniques grand public comme les lecteurs multimédias, caméras, ou encore les terminaux GPS.

Avant de partir : les bonnes pratiques listées dans l’étude, pour réduire sa consommation d’énergie et ses impacts sur le dérèglement climatique

ActivitéBonnes pratiques pour réduire la consommation d’énergieBonnes pratiques pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre
Vidéo en ligne– Réduire la résolution vidéo si le contenu ne nécessite pas une haute résolution peut permettre d’économiser de l’énergie.
– Regarder une vidéo en utilisant le Wi-Fi qui consomme moins d’énergie qu’une connexion 4G
En règle générale, les appareils plus petits (smartphones, tablettes) consomment moins d’énergie que les téléviseurs et les ordinateurs de bureau. Dans la mesure du possible, privilégiez les réseaux fixes plutôt que les réseaux mobiles. Si vous prévoyez de visionner une vidéo plusieurs fois, le téléchargement peut être une bonne option (mais n’oubliez pas que la taille de l’appareil que vous utilisez chez vous a le plus d’impact).
Jeu vidéo– Réduire le temps passé à jouer aux jeux vidéo.
– Activer les options d’économie d’énergie
– Réduire la définition des graphismes de jeu.
Éteignez les haut-parleurs et jouez sur des appareils plus petits tels que des smartphones ou des ordinateurs portables plutôt que sur votre ordinateur de bureau. De plus, réduire le nombre d’écrans, leur taille, utiliser des réseaux fixes plutôt que la 4G ou la 5G aura moins d’impact.
Visioconférence– Éteindre la caméra peut minimiser la consommation d’énergie.
– Utiliser un casque lors d’une visioconférence peut réduire la consommation d’énergie jusqu’à 25%
Utilisez des appareils plus petits si l’objectif de la réunion est simplement de passer un appel. Éteindre votre caméra peut améliorer la stabilité de la connexion, mais la plupart de l’impact proviendra toujours de votre ordinateur de bureau ou de votre ordinateur portable.
Diffusion de musiqueTélécharger plutôt que diffuser de la musiqueUtilisez des appareils plus petits pour écouter de la musique. Au lieu d’utiliser votre téléviseur pour écouter de la musique, utilisez votre téléphone. S’il est connecté à un haut-parleur, il consommera toujours moins d’énergie et aura moins d’impact qu’un ordinateur de bureau ou un téléviseur.
Réseaux sociauxRéduire le temps de défilementLes recommandations sont très similaires à celles de la diffusion en continu de vidéos. Si vous souhaitez limiter votre impact, limitez simplement votre utilisation. Parcourir votre plateforme de médias sociaux seulement deux fois par jour réduira la consommation d’énergie et améliorera probablement votre concentration. Utiliser des appareils plus petits et des réseaux fixes plutôt que la 4G ou la 5G est efficace car cela consomme moins d’énergie. Enfin, les médias sociaux avec un contenu plus statique et moins ou pas de vidéo auront également moins d’impact environnemental.
Rédaction ou envoi d’un e-mail– Se désabonner des listes de diffusion lorsque cela n’est pas nécessaire.
– Réduire le nombre d’e-mails envoyés
Limitez le nombre d’e-mails que vous envoyez par jour, en particulier le temps consacré à leur rédaction et à leur lecture. Réduisez le nombre de destinataires et la taille des pièces jointes. Enfin, désabonnez-vous des newsletters inutiles.
Téléchargement d’un fichier sur un ordinateurAucune information pertinente n’a été trouvée dans la littérature provenant de sources fiables.Utilisez des réseaux fixes pour télécharger des fichiers, comme le Wi-Fi ou l’Ethernet, plutôt que la 4G ou la 5G. Limitez le nombre de fichiers à télécharger.
Stockage de données dans le cloud pendant N années– Limiter l’utilisation du cloud lorsque c’est possible.
– Utiliser des applications locales lorsque c’est possible.
Utiliser un disque dur externe
Le cloud permet de mutualiser les ressources et d’être plus efficace. Cependant, en limitant le nombre de connexions aux serveurs, vous réduirez la quantité d’informations qui transitent par le réseau et donc la consommation d’énergie. Vous devriez enregistrer vos fichiers sur le cloud uniquement si nécessaire et supprimer les fichiers qui ne sont plus nécessaires. Moins vous stockez d’informations, moins la consommation associée est importante. Pour réaliser davantage d’économies d’énergie, vous pouvez également désactiver la synchronisation automatique des téléchargements de photos, par exemple.
Prolonger la durée d’utilisation d’un smartphoneProlonger la durée d’utilisation d’un smartphoneProlongez autant que possible la durée de vie d’un smartphone. Cela a un impact significatif. L’impact environnemental du secteur des TIC est important. Non seulement en termes d’émissions de CO2eq, mais surtout en ce qui concerne la consommation de terres rares. La pollution associée à la fabrication d’un smartphone, ou de tout autre équipement des TIC, n’est pas négligeable et ces objets sont difficiles à recycler.
Éteindre le routeur Wi-FiÉteindre le routeur Wi-Fi est la solution la plus économe en énergie, des solutions alternatives peuvent être le mode veille profondeÉteindre le routeur Wi-Fi pendant les vacances ou lorsque vous êtes absent de chez vous est un comportement simple qui ne prendra que quelques secondes de votre temps et permettra d’économiser une quantité significative d’énergie. Vous pouvez même l’éteindre lorsque vous n’en avez pas besoin, comme la nuit.

1 Assessment of the energy footprint of digital actions and services.

2 Past and present reports – Mobility Report

3 Service Provider Network and Technology Services

4 IEA – International Energy Agency

5 Lean ICT – Towards Digital Sobriety : https://theshiftproject.org/wp-content/uploads/2019/03/Lean-ICT-Report_The-Shift-Project_2019.pdf

6 The carbon footprint of streaming video: fact-checking the headlines – Analysis – IEA

7 Calculating the Carbon Footprint of Streaming Media: Beyond the Myth of Efficiency https://computingwithinlimits.org/2022/papers/limits22-final-Makonin.pdf

8 Impact environnemental du numérique en France Evaluation de l’impact environnemental de l’IoT en France – Mavana


Article rédigé par Gillo Malpart

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